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Eliane de Latour pour une fiction anthropologique Version imprimable Suggérer par mail

 Pour une fiction anthropologique

 

C’est en 1981, au sortir de sa thèse qu’Eliane de Latour, s'empare pour la première fois d'une camera. Une expérience passionnante, « comme une respiration », qui la conduira à s’intéresser toujours d’avantage au langage cinématographique.

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L’orsqu'Eliane de Latour décide d'entreprendre son premier film au Niger, un homme, anthropologue lui aussi, filme non loin de la : Jean Rouch. Comme à bien d'autres, il lui donnera le goût des images. La chercheuse s'engage alors dans un long-métrage de 90 minutes sans connaître ni le métier ni les rouages du cinéma. Les Temps du pouvoir, c'est le titre de ce film, sera primé dans plusieurs festivals. Puis, des documentaires, elle passera à la fiction pour Bronx-Barbes. Un film qui fera plus d'entrées que Titanic dans les salles de cinéma africaines parce que, selon la presse locale, « il dit la vérité ».
Pour Eliane de Latour, « il n'y a pas de frontières entre [son] métier de chercheur en anthropologie et celui de cinéaste ».
L'anthropologie est liée au cinéma. Des les premières expositions, les chercheurs prenaient des images photographiques ou filmées. Mais longtemps, une grande partie d'entre eux se sont contentés de coller un savoir scientifique sur des images. Eliane de Latour rompt avec cette tradition: « intuitivement, dès le premier film, je savais ce que je ne voulais pas faire, je refusais ces choix esthétiques canonisés comme "scientifiques", alors que rien n'est garanti par cette forme qui met en scène une parole univoque, même si l'autre parle un peu ». Elle prend en compte le passage de la personne au personnage, de la mise en récit a la dramaturgie...
Des images, elle veut faire émerger des questions. De film en film, elle se dirige de plus en plus vers la narration fictive pour « dire plus avec moins. Tout film est une construction. Le réel s'organise à partir de la réflexion que l'on en a, on va derrière les apparences », explique-t-elle en ajoutant qu'elle ne fait pas beaucoup de distinction entre le documentaire et le film de fiction. A la question: qu'apporte le film à l'anthropologie ? Eliane de Latour répond : « Lorsqu'on travaille avec l'image, il y a un déplacement de la recherche vers l'infime ou le silence. Les relations avec les gens que l'on filme ne sont plus les mêmes non plus, ils partagent de manière immédiate un projet avec vous. Ils deviennent les acteurs d'une histoire partagée. Ils sont dans une autre posture que celle de l'informateur avec lequel on a un entretien ». Le recours à la fiction permet aussi à l’anthropologue de s'exprimer plus librement. A l’origine de l’histoire de Bronx-Barbès, par exemple: une enquête de terrain menée sur des gangs de rue dans deux villes ivoiriennes, Abidjan et San Pedro. Le film décrit le parcours des jeunes, de leur entrée à leur sortie du gang. Un parcours « initiatique » à travers lequel ils modifient leur identité et espèrent changer la donne de départ au risque de la mort, pour eux, comme pour les autres. « Lorsque l’on travaille sur des pratiques illégales, le cinéma direct est difficile. Les gens ne souhaitent pas raconter leurs trafics ou leurs délits. En outre, la fiction permet des contractions de l’espace et du temps (modélisation) ou au contraire leur dilatation (détails).
Cette ouverture me permet de travailler autrement l’équilibre entre la maîtrise que j'ai d'une image et ce qui, par principe, m’échappe » souligne Eliane de Latour, qui vient d'achever le scénario de son prochain film, la suite de Bronx-Barbès. La science et l’art se conjuguent au présent: « Il y a moins d'opposition qu'on le pense souvent entre art et science, explique l’anthropologue-cinéaste. Dans les deux cas, il s'agit de passer de l’inexploré à l’exploré, de trouver quelque chose de nouveau, d'unique ».

Murielle Fourlon

 

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