Michel Kelemenis : Amour sans chair |
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Taktik, mai 1995Amour sans chair
La soirée du I0 mai dernier aura été marquante pour Michel Kelemenis qui présentait pour la première fois à Marseille, au Théâtre du Merlan, sa dernière création, Chéri amour, et qui recevait du même coup la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres.
Cependant la missive du chorégraphe n’a pas forcément répondu à toutes les attentes. La forme de la lettre choisie par Michel Kelemenis pour sa dernière pièce lui permet une grande liberté dans le jeu et le degré de connivence qu'il veut établir avec le public. Celui-ci, s'il suit le titre, Chère amour, une première indication, sait qu'il s'agira durant une heure dix d'une lettre d'amour adressée à un être aimé, et par extension le moyen que le chorégraphe a choisi pour communiquer avec le spectateur. La lettre est ponctuée de petits événements sans importance et d'autres plus graves. Kelemenis s'amuse à brouiller les pistes. Il ne s'agit pas d'une pièce véritablement autobiographique, il y introduit des éléments fictionnels et sans doute des sentiments personnels. Le chorégraphe offre alors au public une position de voyeur, celui-ci devient le témoin d'une histoire, de pensées évoquées qui ne lui appartiennent pas. La scénographie composée de photographies représentant une maison indique la marche à suivre. La maison est un lieu d'intimité où l'auteur de la lettre peut s'épancher aisément. Dans un premier temps, Kelemenis nous laisse attendre devant la façade de cette maison fermée, puis tranquillement il va nous entraîner à l'intérieur. Au détour d'une photo, on apercevra la silhouette d'une femme. Évocation de l'être absent. Une autre laissera la porte entrebâillée. Le spectateur est sur le point de pénétrer dans une pièce, mais la porte se referme bien vite. Kelemenis ne se livre pas. Il laisse finalement le spectateur sur le pas de la porte. Le sujet promettait de l'émotion, une part de rêve et de sensibilité mais à force de pudeur, la pièce devient vite impersonnelle et l'émotion tant attendue n'est pas au rendez-vous. Le texte, extraits de lettres écrites et lues par le chorégraphe qui ponctuent la pièce, loin d'enrichir le propos l'affaiblit, lui donne un côté mièvre. Kelemenis reste ici dans le convenu, il s'agit d'une lettre d'amour, c'est entendu, dansée par cinq danseurs qui laissent croire que la lettre s'adresse à une femme. Le ton de la lettre tend à devenir celui d'un journal intime. Pourtant, il se retient encore. La danse mêle les petits gestes insignifiants à des moments non dénués d'humour et une gestuelle basée sur la virtuosité, le chorégraphe aime les corps et le mouvement. Il connaît bien son aigre. C'est propre, très propre. Et en fin de compte, là où on s'attendait à une mise à nu, on obtient un produit enveloppé, bien ficelé mais où l'émotion semble faire cruellement défaut. Murielle Fourlon |