Point de vue, images de danse |
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Taktik, juillet 1996Point de vue, images de danse
De Châteauvallon à Avignon, en passant bien sûr par Aix-en-provence ou Marseille, la danse est présente et multiple partout alentour.Événements qui n'en sont pas, tentatives plus ou moins réussies, les programmations se succèdent à un rythme rapide. Les festivals ont au moins le mérite de montrer la diversité de la danse, moderne ou non, contemporaine ou traditionnelle, dans une période où les gens sont plus détendus et leur curiosité peut-être plus aiguisée.
Attente déçuesVanté comme le chorégraphe espagnol le plus prometteur de sa génération par les organisateurs du Festival Marseille, la danse de Nacho Duato n'a pas été à la hauteur de sa publicité.On ne peut que reconnaître une grande maîtrise technique aux danseurs de la Compagnie nationale de danse, installée à Madrid, ils exécutent parfaitement tous les mouvements qu'on leur impose. De formation à l'évidence classique, ils savent tendre et lever haut les jambes et les bras. Ecos, Por vos mueras et mediterrania, ces trois chorégraphies sont construites sur le même rythme et sur la même énergie. Duato remplit l'espace par des centaines de mouvements mais pourquoi ? Visiblement, il n'y a pas autre chose que du vide, des clichés, des mouvements empruntés à droite, à gauche superposés les uns aux autres sans que les danseurs aient eu la possibilité de prendre le temps de les digérer et de s'en imprégner. Le chorégraphe a l’imagination restreinte et fonctionne sur le lieu commun. Mediterrania, les femmes battent des ailes sur des cris de mouettes, elles sont les oiseaux, l'homme arrose sa terre fertile, la femme sort du jardin d'Eden, « Méditerranée, terre paradisiaque » avant le bouquet final, une horde dansant la guerre « Méditerranée, tu te déchires », bande-son violente ; bruits de coups de feu : pour souligner encore ce qu'on aurait peut-être pas bien compris. Por vos mueras, une chorégraphie inspirée des musiques du XVe et XVIe siècles, des saynètes costumées, la danse de curés balançant allègrement leurs goupillons dans une atmosphère digne des plus hautes heures du régime d'Isabelle la Catholique (à prendre au premier ou au second degré ?!). Duato est prolixe par peur du vide. Bavardage incessant, les yeux et les oreilles se fatiguent vite. C'est propre, bien huilé, les interprètes n'ont aucune personnalité et sortent tous du même moule, c'est le pays où tout le monde est pareil, c'est le village de l'ennui. Le temps passéMesse pour un temps présent est une cérémonie en 9 épisodes. Une pièce créée en 1967 par Maurice Béjart en hommage à un de ses danseurs disparu dans un accident de voiture à 25 ans.Au festival de Châteauvallon, cette recréation était attendue comme un événement. Pourtant cette messe ne se conjugue plus au présent, elle se décline à l'imparfait voire au passé composé. La pièce a vieilli, elle n'a plus de résonance avec notre époque. Nous nous sommes habitués à voir tant de choses qui appartiennent au passé, à ce fameux âge d'or où la crise et le chômage n'existaient pas encore. La merveilleuse époque qui promettait le bonheur par la consommation, l'époque où les jeunes avaient encore le droit d'être jeune et les vieux, le droit d'être vieux. Messe pour un temps présent collait parfaitement à son époque. Maurice Béjart, avait su prendre l'air de son temps, mais aujourd'hui, malgré ce qu'on cherche à nous faire croire à grand renfort de chansons et de musiques débiles, ce temps-là est bel et bien dépassé. Pourtant il est des oeuvres qui traversent le temps sans une égratignure et puis d'autres qui perdent de leur saveur et ont un je ne sais quoi de démodé, un côté kitsch qui font la joie des collectionneurs. Pourquoi Béjart a-t-il eu envie de remonter cette pièce ? Pourquoi les gens ont-ils eus envie de la revoir ? Pourquoi tous ces retours vers le passé en ce moment ? Sans doute parce que ces souvenirs appartiennent à ceux qui ont entre leurs mains les médias, le pouvoir. Ces générations qui nous gouvernent et qui n'en finissent plus de nous ressasser leurs histoires de jeunesse. Une propension incontrôlable à courir en sens inverse pour fuir la peur du temps qui passe. 90 minutes à mourirOu comment fabriquer un événement avec Rien.En ouverture du festival Danse à Aix, un Roméo et Juliette revisité par Angelin Preljocaj avec des décors et des costumes d'Enki Bilal ou comment rendre une pièce magnifique pleine de finesse et d'intelligence (celle de Shakespeare), morose et ennuyeuse. Le chorégraphe a situé la pièce dans une époque futuriste sans l'être. D'un côté la milice, de l'autre les sans-abri, le décor est planté, division en deux blocs : les méchants-les gentils. Juliette aime Roméo et Roméo aime Juliette, jusque-là rien d'étonnant sauf que leur amour est tiédasse et a comme un goût micro-ondé. Mercutio (ou peut-être est-ce Benevolio) se fait passer à tabac par de méchants miliciens, ça ne mange pas de pain et ça passe bien dans un discours engagé à deux francs. Un milicien sur un mirador, arme au bras, chien-loup dans le prolongement de l'autre balaye à grands coups de projecteur la salle et oui, on l'aura compris, ce sont les méchants. Les deux nourrices passent pour des grues et les filles du camp des sans-abri se moquent d'elle (passage tout à fait inutile). La danse est triste. Le mouvement contemporain par trop de rigidité tombe vite dans l'académisme. La pièce de Shakespeare n'est plus qu'un vague prétexte. Enfin Juliette meurt, Roméo se tue, mais non ! Juliette n'est pas morte et ça n'en finit plus. Enfin elle se résout à suivre son amant et tout est fini, ouf ! Flux et refluxLes Danses de la mer blanche de la compagnie Artefact traversent sans encombre les planches de la scène du théâtre couvert de Châteauvallon.Deux chorégraphes, Jeannette Dumeix et Marc Vincent ont suivi la route des mauresques, danses très anciennes que l'on retrouve sur les rivages nord et sud de la Méditerranée. Des danses inspirées duos, trios ou quatuors, une danse qui cherche l'essence de ce qui constitue une culture. Tour à tour sont évoqués la danse de combat, celle du rapt de la femme, les esprits maléfiques ou bénéfiques, l'idole, l'image. On sent qu'ils se sont penchés de très près sur cette culture. Ils ont cherché et cherchent encore. La danse peut en être quelquefois pesant, cependant La Nouba des remparts a quelque chose d'exaltant à force de répétition et nous transporte dans un état proche de la transe. Les Danses de la mer blanche ont le grand mérite d'être généreuses et riches d'idées, même si les interprètes manquent un peu d’assurance. Joseph Nadj fait son cirqueLe chorégraphe met en scène la compagnie Anomalie qui réunit dix garçons tous diplômés du Centre national des arts du Cirque pour Le Cri du caméléon, présenté à Châteauvallon la semaine dernière. Voltigeurs, jongleurs, acrobates, magiciens, Contorsionnistes, clowns et musiciens, ils sont tous tout cela à la fois. Ici le merveilleux côtoie l'étrange, l'univers de Nadj est là mais cette fois, pour notre plus grand plaisir on le retrouve avec un air émerveillé d'enfant, un regard neuf. On a envie de regarder le monde la tête en bas, les pieds en l'air. On salue la performance de ces athlètes qui ne se prennent pas au sérieux. L'homme lorsqu'il se dépasse nous entraîne dans un univers absurde où les êtres humains sortent de boîtes, s'éclipsent par des trous de souris.Illusions, déraisons et humour dans un monde qui paraît biscornu. Les tables chez Nadj se rangent sous les chaises, les lampes se placent sous les tables, les hommes s'échangent des chapeaux de plus en plus vite et de plus en plus petits, ils jonglent avec tout ce qui leur passe par les mains et pourquoi pas avec les corps. L'objet est prétexte à de multiples transformations. Après ce spectacle, on ne regarde plus une chaise de la même façon et peut-être même vous surprendrez-vous à contempler une valise pendant des heures en attendant qu'elle prenne l'apparence d'un homme glissant lentement sur la trace de l'escargot. Et tout cela c'est de la faute à Nadj ! Cette pièce est programmée, jusqu'au 27 juillet au festival d'Avignon, qui accueille également jusqu'au 16 juillet, Les commentaires d'Habacuc la dernière création de Joseph Nadj. Des corps en PièceMathilde Monnier présentait sa dernière création au festival d'Avignon. Pour l'atelier en pièce, elle met les corps en danger. En empruntant le chemin de la folie, elle pouvait glisser rapidement dans l'illustration, dans le déjà-vu d'un thème si souvent exploré par la danse et le théâtre. Il n'en est rien. Un décor blanc filtre la lumière et donne un aspect clinique à la danse. Les spectateurs sont assis sur des petites chaises en lignes, délimitant l'espace chorégraphique. Mathilde Monnier a su créer une proximité qui implique le spectateur malgré lui dans ce qui va se passer. Elle joue sur le fil du rasoir, un accident est si vite arrivé, l'interprète frôle le spectateur, malaise lisible dans les glaces que les danseurs tendent au public, on ne peut pas s’installer comme ces corps désarticulés qui entrent et sortent, explorant un mouvement jusqu'à sa limite, obsession du geste. Les corps défaillent, les esprits se perdent, la barrière devient trouble, où sommes-nous ? Déphasés sans doute, déplacés dans un autre rapport au temps, rapport au corps. Les interprètes sont magnifiques de justesse.Murielle FourlonFestival de Châteauvallon.Danse à Aix.Festival d'Avignon.Festival Marseille. |