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Genre et démocratie locale : l'approche par genre Version imprimable Suggérer par mail

Agorelles, janvier 2004 

 

L’approche par genre : une chance pour la démocratie locale

 

Laurent Bielicki et Martine Deyris, de l’Association Régionale pour le Développement local reviennent ici sur quelques notions véhiculées par notre société concernant les principes de démocratie, de participation locale et de genre.

Aujourd’hui, il semble clair que la démocratie participative est le seul outil crédible pour transformer la société, pour tisser des liens assez solides entre les hommes et les femmes. Cependant la participation des habitants reste à inventer, à financer et à installer.
Or, notre pays reste à la traîne, ce retard en matière de démocratie locale, voire le refus de faire réellement avancer les choses s’expliquent par l’histoire même de la démocratie française. Les femmes ont été exclues de la vie politique jusqu’en 1944 où elles ont obtenu le droit de vote. La politique est restée très longtemps le domaine réservé des seuls hommes.
« La femme a-t-elle dans l’Etat les mêmes droits que l’homme ? (…) Il semble (…) que le sexe féminin a toujours été placé, dans l’exercice de ses droits, après le sexe masculin. Un tel accord doit avoir une raison profonde et si la recherche de cette raison a jamais été un besoin urgent, c’est bien de nos jours. » La notion d’urgence semble être très relative puisque Johan Fichte1 écrivait ces propos en 1796 !

C’est depuis peu, sous l’impulsion des Nations Unies, de l’Europe et des mouvements féministes bien entendu qu’une volonté apparaît de faire de la femme une citoyenne égale à l’homme, avec une représentation accrue dans les Institutions et les partis politiques. Cependant la présence des femmes dans les instances politiques reste très insuffisante (voir le tableau ci-contre).

Le manque de démocratie locale s’explique aussi par l’histoire de notre culture politique. Pour comprendre son origine, il faut remonter à des philosophes comme Tocqueville, Rousseau ou encore Montesquieu, ces penseurs qui travaillaient sur la notion de démocratie. Ils affirmaient que la démocratie véritable pouvait s’établir de manière plus évidente sur des territoires de petites tailles, et qu’on avait besoin de proximité pour instaurer une démocratie réelle.
La commune rurale est devenue le symbole de la démocratie, incarnée par son maire, personnage qui représente le mieux cette supériorité démocratique. Cette idée a été adoptée par les communes urbaines pour devenir l’exemple français. Le maire et les élues locaux pensent faire tous les jours de la démocratie directe avec leurs administrés, en serrant des mains sur les marchés ils sont persuadés d’être dans la participation et la proximité. Cette idée est un frein à la mise en place de toutes instances formelles de participation réelle des individus. La participation est appréhendée par les élus comme un risque, un lieu de contre-pouvoir, comme une remise en cause de la démocratie représentative.
Or, comme notre assemblée (Sénat et Assemblée nationale) est composée d’élus locaux, on comprend mieux comment certains projets touchant à la participation active des citoyens sont bloqués.
 

L’approche par genre, une chance pour la démocratie locale ?


La notion de démocratie renvoie implicitement à la notion d’égalité : « égalité des citoyens dans l’exercice politique ». C’est une conception très universalisante. Dans cette logique, les droits démocratiques s’appliquent à tout citoyen, indépendamment de sa position social, de sa religion ou de son sexe… Oui, mais,  la fameuse expression « Un homme, une voix », est à cet égard très éloquente : ce citoyen n’est évidemment pas une femme. Les théoriciennes anglo-saxonnes vont plus loin sur cette norme du citoyen, très présente dans toutes les démocraties occidentales. D’après elles, non seulement ce n’est pas une femme, mais il s’agit d’un homme, blanc, marié, père de famille, d’une quarantaine d’années environ, actif et bien portant.
L’approche par genre remet donc en question ce caractère présupposé universel de la citoyenneté.
Et elle a le mérite de reformuler les questions.
La démocratie ou la démocratie locale existent-elles ?
Réponse : elles n’existent pas, elles restent à construire.
L’approche de l’égalité des citoyens dans l’exercice politique est complètement démenti par les faits.
A l’échelle locale, on constate que peu de femmes sont maires et lorsqu’elles le sont, il s’agit surtout de petites communes, les femmes sont souvent conseillères municipales plutôt qu’adjointes au maire. Elles président des délégations qui sont du domaine de l’action sociale, petite enfance, etc...., les domaines « réservés » aux femmes.
Le seul accès à l’égalité citoyenne donc au droit de vote et à l’égibilité ne suffit pas.
L’enjeu de l’approche par genre est peut-être de questionner trois champs interdépendants : la dimension sexuée de la citoyenneté, le rôle de l’Etat et des politiques publiques dans la construction des rapports de genre.
Le troisième champ d’investigation concerne les rapports entre la sphère publique et la sphère privée. En essayant d’interroger politiquement cette sphère privée, parce que lorsqu’on aborde la question homme/femme, on s’aperçoit qu’il y a un glissement vers une zone d’ombre… une zone de non-droit.
L’exercice du pouvoir échappe de plus en plus aux citoyens, notre société se complexifie de jour en jour, les élus, les technocrates ou les experts déforment les désirs profonds des individus. Le danger de l’abstention, la perte de confiance, une dépolitisation certaine, le sentiment d’impuissance des individus menace la démocratie. C’est pourquoi, il est impératif que les citoyens s’emparent des instances participatives et retrouvent le goût des affaires de la cité.
Malgré ce constat négatif, les avancées dans le droit à la participation sont réelles. Il y a actuellement des créations d’espaces et d’instances obligatoires : les conseils de quartiers, les conseils de développement qui s’inscrivent dans le développement de l’intercommunalité.
L’intercommunalité devient le lieu où sont prises des décisions importantes : l’insertion économique, sociale, les questions de transport, de l’environnement, une meilleure gestion du temps (voir encadré sur l’agence des temps à Poitiers).
La loi Voynet a institué des contrats de pays et des contrats d’agglomération sur les questions du développement durable et l’aménagement du territoire, les conseils de développement sont devenues des instances obligatoires.  Ces conseils de développement doivent refléter la diversité des acteurs et des activités présentes sur le territoire. C’est une opportunité pour tous ceux qui se sentent concernés par les enjeux de la démocratie locale. Et bien entendu, c’est une chance pour les femmes si elles parviennent à s’en saisir.
La politique a un genre, les femmes y apportent une valeur ajoutée. Elles ont une autre manière d’agir, d’analyser et d’envisager les problèmes, parce qu’elles ont une éducation et une culture différente qui sont l’héritage de nos sociétés.
Il faut dépasser la question de l’égalité ou de l’accès à l’égalité, même si elle reste vitale. Cette dimension n’est pas une condition suffisante de promotion de la citoyenneté des femmes. C’est justement tout l’enjeu de l’approche par genre.
Tant que les féministes se concentreront uniquement sur des questions économiques et sociales – les questions relatives aux enfants, à la famille, à la scolarité, au travail, au salaire, à l’avortement, à la violence ou encore à la pornographie – elles n’auront pas de véritables visions politiques et n’aborderont pas le problème de la citoyenneté dans son ensemble.
C’est à cette condition que l’approche par genre peut se révéler une chance pour la démocratie et pas uniquement locale. C’est à cette condition que le féminisme peut s’avérer une source véritable d’un renouveau politique et démocratique.

Murielle Fourlon 

 



1 Fichte, Johan, Fondement du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science, 1796.