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Les femmes dans la cité : femmes et création Version imprimable Suggérer par mail

Rencontres d'Averroès, 2001 

 

Les femmes dans la cité : femmes et création

 

« Aux hommes, la transformation du monde, aux femmes, la procréation » rappelait Irène Théry lors de la première table ronde. Au cœur de la création artistique, la femme était la muse, l’égérie ou encore l’héroïne de l’homme. Longtemps confiné à la sphère privée, l’art féminin n’était pas reconnu. Qu’en est-il aujourd’hui ? Fawzia Zouari, Lina Saneh, Nena Venetsanou et Agnès Merlet ont tenté d’y répondre à travers leurs parcours et leurs expériences artistiques.

ImagePour en finir avec Shéhérazade

Tel est le titre d’un livre de Fawzia Zouari, écrivain, journaliste, née en Tunisie. Provocation ? Peut-être au regard de certains hommes qui aiment à dire que Shéhérazade est une artiste. Fawzia Zouari explique pourquoi elle tue volontiers ce personnage féminin. Shéhérazade ou la parole confisquée qui, durant des nuits (Mille et une) raconte les histoires des autres pour le bon plaisir d’un homme et disparaît lorsque le jour se lève pour redevenir une ombre. L’écrivain revendique la liberté de dire « je », c’est-à-dire parler à la première personne du singulier dans une société où il est difficile d’exister en tant que sujet. Elle évoque le livre de Fethi Benslama, une fiction troublante, dans lequel le psychanalyste démontre que le monde arabe a peur de la fiction. Peur de la femme, peur de la fiction, la femme créatrice est donc dans une double transgression.

L’émergence de l’individu dans la société

C’est le combat de Lina Saneh, comédienne et metteur en scène de théâtre à Beyrouth. Elle n’a pas eu à se battre pour se faire reconnaître en tant que femme créatrice mais en tant qu’individu, sujet autonome dans les communautés confessionnelles qui régissent encore la société libanaise. Pour elle, « le théâtre est bien ce lieu où l’on voit émerger l’individu au sens politique du terme ».
Nena Venetsanou, compositrice, interprète, grecque, insiste sur le fait qu’il est difficile d’être artiste, homme ou femme, et que nos sociétés doivent se questionner sur la place de l’artiste en général. « Créer, en grec, signifie faire une œuvre pour le peuple, pour tous ». L’artiste femme n’est pas le porte parole des femmes s’adressant à des femmes, mais une créatrice, un créateur comme les autres. Les quatre invitées refusent les stéréotypes. Elles n’entrent pas dans une martyrologie de la femme en général ou de la femme arabe en particulier, comme le martèle Fawzia Zouari.

Artemisia Gentileschi ou la première femme peintre

Agnès Merlet, cinéaste, en s’emparant d’Artemisia Gentileschi, s’attaque à un mythe fabriqué par les féministes dans les années 70. La cinéaste refuse la vision trop étriquée qui fait de cette première femme peintre italienne simplement la victime d’un viol. Elle fabrique un personnage moderne qui a pris sa vie en main et bravée les interdits de la morale de son époque, le XVIIe siècle. Peut-être victime des hommes, en tout cas sans doute victime de la rumeur, elle perd sa réputation de femme, mais se fait reconnaître en tant qu’artiste. Elle aura son propre atelier, ses propres assistants, tout comme un homme. Agnès Merlet fait d’Artemisia un personnage fort qui ne se bat pas contre les hommes mais à leurs côtés pour parvenir à l’égalité.
 

Contre une vision exotique

« Je suis gênée par le regard d’ici sur ma création » dira Fawzia Zouari. « J’ai peur du regard des Occidentaux sur mon travail » renchérira Lina Saneh. Les quatre artistes invitées à cette troisième table ronde veulent être considéré pour ce qu’elles font et non pour ce qu’elles sont. Bien sûr, elles sont femmes, méditerranéennes des deux rives, cependant elles refusent l’exotisme, elles ne font pas partie du folklore. Elles sont des individus à part entière avec leurs propres parcours. Qu’elles aient trouvé leur force créatrice dans les mouvements féministes, comme la chanteuse Nena Venetsanou  ou qu’au contraire elles se méfient de ces « mouvements qui enferment », comme Agnès Merlet, leur travail ne cautionne pas une cause. Elles ne sont pas les ambassadrices d’une culture ou d’un pays. «Je ne suis pas obligée d’être porteuse d’idées, ni de discours, il me faut d’abord être moi » explique Fawzia Zouari avant d’ajouter que « l’appropriation du « je » est aussi la possibilité d’exprimer le silence des femmes qui chez moi n’ont pas parlé, une façon d’exister par moi et par elles en même temps ».

Lorsque la fiction rencontre la réalité

Pourtant cela ne signifie pas que ces artistes se désengagent des affaires de la Cité mais elles ne veulent pas en faire leurs fonds de commerce. En tant que méditerranéennes, elles refusent aussi la vision binaire du monde découpée entre Orient et Occident. Lina Saneh affirme : « nous sommes aussi dans la modernité », sans pour autant vouloir nier la culture et l’héritage méditerranéen. Les femmes de la Rive Sud ne veulent pas imiter celles de la Rive Nord. Fawzia Zouari cherche une autre réponse dans le monde méditerranéen. « Nous sommes pour « méditerranéiser » la femme et féminiser la Méditerranée. » Le monde méditerranéen est un lieu de discordes, de violences et de luttes. La vision masculine prédomine encore. Les femmes doivent apporter leurs regards et leurs valeurs. « Nous ne sommes pas des Amazones », Nena Venetsanou emploie le sens étymologique du mot qui signifie : « celui qui ne possède rien ». La femme a toujours créé, elle n’était pas reconnue, son art restait dans la sphère du privé. Aujourd’hui, comme l’ont démontré ces femmes artistes, elle a conquis l’espace public.

Murielle Fourlon

« Le « je », c’est aussi exprimer le silence des femmes qui chez moi, n’ont pas parlé, c’est une façon d’exister par moi et par elles en même temps. C’est pour moi la naissance de l’individu dans le monde arabe et elle se fait par ce « je » féminin. Quant à l’entreprise de l’Autre, il s’agit d’une entreprise d’altérité, je suis l’Autre, les femmes ont une capacité extraordinaire de migrer dans l’identité de l’Autre. Cette altérité pour moi, c’est de reformuler les imaginaires. »
Fawzia Zouari

« J’ai trouvé que la force de la femme était son corps et je remercie les féministes des années 60, 70 parce qu’elles parlaient de l’orgasme avec le sérieux des hommes qui parlaient de la lutte des classes. Le corps revenait. »
Nena Venetsanou

« J’ai peur du regard des Occidentaux sur mon travail, je me méfie énormément de ce que l’on appelle Orient en Occident. Je suis orientale et cela devrait supposer que je sois quelqu’un de sentimental, derrière le voile la sensualité. Souvent, ils viennent au Liban et au Moyen Orient et recherchent de l’exotisme ou du folklore sous prétexte de la culture et du patrimoine  des autres. Pourtant nous sommes aussi dans la modernité et nous avons les mêmes recherches. »
Lina Saneh

« J’ai voulu faire d’Artemisia un vrai personnage et pas seulement une martyre ou une victime. Je voulais qu’elle soit une femme qui puisse prendre sa vie en main, qui allait au-devant de ses désirs même si la morale lui interdisait. J’ai voulu créer un personnage moderne qui ne se bât pas contre les hommes, mais qui se bât à leurs côtés pour obtenir la même place. »
Agnès Merlet