Menu Content/Inhalt
-:[]:- arrow Sur les femmes arrow Les femmes dans la cité : femmes et violence
Les femmes dans la cité : femmes et violence Version imprimable Suggérer par mail

Rencontres d'Averroès, 2001

 

 Les femmes dans la cité : femmes et violence

 

Pour aborder le thème de la seconde table ronde, Femmes et violences en Méditerranée, l’angle choisi était de partir du plus petit dénominateur commun, la famille ou l’espace privé pour ensuite s’intéresser au-dehors ou l’espace public. Les femmes subissent des violences à l’intérieur de la cellule familiale, elles sont victimes des attaques publiques quelquefois, elles les combattent aussi. Elles sortent quelques fois du silence et des rôles traditionnels dans lesquels on veut les enfermer pour conquérir l’espace public.

Image« Parler de la violence dans l’espace privé conduit à s’interroger sur le système social en général ».

Le ton est donné par Chérifa Hadjij, sociologue algérienne, qui souligne ici la difficulté de parler du sujet en séparant les deux espaces privé-public. L’espace privé est celui du refuge par rapport à un monde extérieur agressif mais c’est aussi le lieu où se commettent la grande majorité des crimes, renchérit Véronique Nahoum Grappe, chercheur en sciences sociales. En Méditerranée, et notamment en Algérie où la domination masculine reste très forte, il est très difficile pour les femmes de parler de la violence qu’elles subissent tant dans leur famille qu’à l’extérieur, explique Chérifa Hadjij. Malgré des associations qui se sont mises en place pour aider ces femmes à parler, le sujet du viol par exemple reste un tabou. « La prise de parole est un acte social fondamental », affirme-t-elle. Véronique Nahoum Grappe rappelle que le rapport homme-femme au sein de la famille dépend aussi du contexte général. Selon elle, si un régime politique intervient par des lois dans l’espace intime, si par exemple il donne à l’homme une ascendance sur sa femme, sa mère, sa sœur ou sa fille, celle-ci peut être « victime de violences en toute invisibilité ». Le système protège alors le crime. Letizia Battaglia, photographe palermitaine, qui a combattu la mafia, confirme cet enchevêtrement entre l’espace intime et l’espace public en Sicile. Les codes d’honneur et de vengeance établis par la mafia régissent les rapports au sein de la famille. Elle raconte qu’une mère a renié sa fille parce qu’elle a révélé les secrets de la mafia. Le sentiment de honte est alors plus fort que l’amour maternel.

La difficulté pour la femme d’émerger en tant que sujet social

Chérifa Hadjij insiste sur ce point, la femme algérienne n’existe que dans le cadre du groupe familial. Elle travaille. Souvent elle est célibataire. Quelques fois et de plus en plus, elle est le chef de la famille, elle élève seule ses enfants et prend en charge sa famille. Pourtant elle n’est pas reconnue en tant que sujet social. Pour des questions d’honneur ou d’estime de soi comme le précise Véronique Nahoum Grappe, elle taira le viol qu’elle a subi pour que la honte ne rejaillisse pas sur sa famille. Cependant ce tableau sombre est à nuancer. Letizia Battaglia explique que les femmes siciliennes ont acquis une liberté et un respect en travaillant et donc en devenant indépendante financièrement. Ce n’est pas le cas pour les femmes dans le monde arabe, le travail ne signifie pas forcément liberté, intervient Dalal el Bizri, professeur libanaise, vivant au Caire et chroniqueuse dans un journal arabe. Le poids des mentalités pèse est encore trop lourd.

La femme victime de la guerre

« La fin du vingtième siècle a vu naître la guerre la plus disproportionnée, la plus terrifiante qui soit : une guerre dont le but unique est le massacre de populations civiles, jetant une armée non plus contre une autre armée mais contre un « arrière » ramené en première ligne. » Véronique Nahoum Grappe qui a travaillé comme anthropologue sur les lieux du génocide et les camps de réfugiés dans les Balkans pointe du doigt un phénomène récent. La population civile est touchée et les femmes sont en première ligne. Violées, touchées dans leur chair par la perte de leurs enfants, elles doivent produire de la contre-violence pour survivre. Quelques fois, ces femmes vont prendre part au combat, c’est le cas des combattantes algériennes ou palestiniennes, mais seront-elles reconnues à la fin des combats ? Cependant, la guerre oblige aussi la femme à sortir de l’espace dans lequel elle est confinée, elle assume de nouvelles responsabilités parce que l’homme est absent. Une fois la guerre terminée acceptera t-elle de retourner chez elle pour n’en plus sortir ? Guerres civiles ici, mafia ou terrorisme là-bas, autant de situations extrêmes qui mènent la femme à sortir dans la rue et à manifester sa colère. Par exemple, les femmes en Noir de Belgrade qui ont protesté contre le viol dans la guerre, contre le nationalisme et contre la purification ethnique. Les femmes en Noir israéliennes qui manifestent avec les femmes palestiniennes contre la présence israélienne dans les territoires occupés. Les femmes corse qui lancent le manifeste pour la vie pour qu’enfin cesse le terrorisme ou encore les Siciliennes qui combattent la mafia.

Une victime consentante ?

Cependant attention à ne pas tomber dans un raccourci qui consisterait à faire de la femme un être meilleur que l’homme. Les quatre invités de cette table ronde nous empêchent de verser dans cet angélisme qui viserait à idéaliser la femme et à accabler l’homme. La femme peut être aussi une victime consentante. Dalal el Bizri met le doigt sur un paradoxe, « la femme porteuse de vie est attirée sexuellement par les semeurs de mort ». Elle cite pour exemple le succès de Ben Laden auprès de certaines jeunes filles dans le monde arabe ou encore celui des Princes du Liban admirés par de jolies femmes libanaises. La femme peut également pousser l’homme dans la vengeance. Elle reproduit aussi le schéma social établi. Aujourd’hui, certaines filles reprennent les affaires de leurs pères dans la mafia, nous confirme Letizia Battaglia. Elles continuent à favoriser leurs fils par rapport à leurs filles, renchérit Cherifa Hadjij.

Il ne s’agit donc pas de désigner des femmes héroïnes d’un côté et des hommes dominateurs de l’autre. La femme accédera à la liberté si l’homme l’y aide aussi, c’est une réflexion qui englobe le rapport homme-femme dans son ensemble. D’ennemis, ils doivent s’allier pour que ce monde se mette en mouvement.
Pour Dalal, le Bizri, l’urgence est de « donner aux hommes et aux femmes la liberté de réfléchir, de s’exprimer et de choisir ceux qui les gouvernent ». Et l’on pourrait conclure sur cette phrase de Chérifa Hadjij : « la femme doit pouvoir construire autre chose par rapport à sa résistance à la guerre parce que biologiquement et jusqu’à aujourd’hui, c’est elle qui porte la vie ».
 
 
Murielle Fourlon



« Les femmes algériennes sont en mouvement aujourd’hui, pour essayer d’exister, étant touchées dans leur propre chair parce qu’elles ont perdu leurs enfants, elles revendiquent des indemnités pour les victimes de viols, même si c’est symbolique, c’est essentiel parce que cela lui permet de se reconnaître en tant que telle. Elles peuvent enfin s’exprimer en tant que sujet social victime du dysfonctionnement de la société. »
Chérifa Hadjij

« Dans les camps de filtration, l’armée russe viole les paysans tchétchènes, les violeurs donnent ensuite à leurs victimes des prénoms féminins. Le viol est un crime contre la sexualité dans l’homme. C’est un crime qui essaye de toucher le lien de filiation mais qui touche aussi à la définition sexuelle de l’être humain. »
Véronique Nahoum Grappe

« La Sicile n’est pas la Corse, nous n’avons pas de bandes, nous avons des mafiosi. Ils veulent gagner de l’argent, ils ne luttent pas pour conquérir l’autonomie. Il n’y a rien d’idéaliste. La mafia est consumériste, globalisatrice, néo-libéraliste, elle est très moderne. Maintenant ils nous tuent politiquement et économiquement. Ils ont beaucoup d’argent et séduisent les gens avec le visage de Berlusconi ».
Letizia Battaglia

« Le besoin le plus pressant dans le monde arabe, c’est la liberté. Ce qui signifie : alternance du pouvoir, participation à la vie publique à travers les élections législatives et les élections municipales et même les élections à l’intérieur des organisations censées être d’opposition, mais qui sont encore dirigées par le chef historique. Il faut en finir avec l’idée du chef. »
Dalal el Bizri