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Colonialisme en Méditerranée : enjeux de mémoire Version imprimable Suggérer par mail

Rencontres d'Averroès, 2003

Enjeux de mémoire 

« Il ne revient pas à l’historien, sous couvert d’objectivité, de donner des couleurs en demi-teinte à ce temps de la décolonisation au Maghreb. Pas plus qu’elle n’est blanche ou noire, la vérité n’est grise. »[1]

 

Image« Quel que soit le régime politique et juridique, celui de colonie ou de protectorat, le colonialisme assit la domination d’une minorité étrangère sur une majorité autochtone. » [2]

 
Ainsi Pierre Brocheux offre une réponse possible à cette première table-ronde qui ouvre les 10ème rencontres d’Averroès. Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire du colonialisme, ni celle de la colonisation et de la décolonisation, car comme le souligne Marc Ferro dans l’introduction de son livre noir du colonialisme : « Les formes de la colonisation, ses objectifs, la figure que cette domination a prise, les traits différenciés des pays libérés constituent un ensemble à variables multiples .»
Si les Espagnols voyaient dans leur expansion outre-mer un signe de leur grandeur, les Portugais y reconnaissaient leur audace, quant aux Britanniques il s’agissait surtout de maîtriser les mers puis de placer des sujets britanniques partout dans le monde, alors que pour les Français, en bons héritiers du siècle des Lumières, il était question surtout d’accomplir une mission civilisatrice, cependant les Italiens voyaient dans le colonialisme un moyen de se construire une identité et faisaient valoir leur droit à l’héritage impérial (l’Empire Romain).
L’expansion coloniale du XIXe et du début du XXe siècle s’explique par la situation politique, économique et sociale de nouvelles puissances industrielles et de leurs relations entre elles.
Il n’est pas question ici de juger cette période et de désigner les victimes et les coupables mais d’essayer de comprendre quelles traces le colonialisme n’en finit pas de laisser dans nos sociétés.
L’idéologie qui accompagne « l’entreprise coloniale » se fonde sur les principes racialistes du XIXe siècle, selon lesquels la race blanche est supérieure aux autres, elle justifie la colonisation dans sa mission civilisatrice. Ainsi, Jules Ferry déclarait le 28 juillet 1885 : « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » En France, la III ème République et les suivantes ont intégré le droit de coloniser et le racisme vis-à-vis des races « inférieures », qui lui ont servi de base, au patrimoine républicain.
Les indigènes des colonies sont des citoyens de seconde zone. Toute une entreprise de dévalorisation de l’autre a été construite à travers les années. Cette période rime avec massacres et violences. Au fur et à mesure se met en place un système qui accentue la domination des uns et la frustration des autres.
Au lendemain des Indépendances, le discours colonial se retrouve au placard comme le souligne Gilles Manceron dans son livre, Marianne et les colonies[3]. D’un seul coup, c’est le « trou de mémoire » colonial.
Aujourd’hui, on semble découvrir avec stupeur la torture en Algérie comme arme de répression systématique et politique pour maintenir les « indigènes » sous contrôle français, on s’étonne ou fait-on semblant ? Car ces exactions ont été dénoncées pendant qu’elles se pratiquaient. Tout comme il existait des anti-colonialistes tout au long de la période évoquée.
Si le discours vantant les colonies associant cette expansion à la grandeur du pays inondait les pages des manuels scolaires jusque dans les années 60, qu’en est-il aujourd’hui du traitement de la colonisation à l’école ? Toutes ces questions doivent être sorties de l’oubli pour être analysées si on veut éradiquer un certains nombres de préjugés.
« Ce que le très chrétien bourgeois du XXe siècle ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc (…) d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. » Aimé Césaire.
En août et septembre 2001 se tenait la Conférence mondiale contre le racisme à Durban, la communauté internationale inscrivait et reconnaissait alors l’esclavage et la traite négrière comme des crimes contre l’humanité, cependant les pays qui ont commis ces crimes n’exprimeront aucune excuse, ni aucun regret.
« (…) La notion positive d’excuses permettrait à un Etat, par la levée des tabous de son histoire, par le face-à-face avec son passé (ouverture d’archives, poursuites judiciaires), par le devoir de mémoire : en reconnaissant son crime et ses victimes (loi), en organisant des lieux et des actions « garantissant la pérennité de la mémoire, de renforcer son unité nationale.
Cette notion, ainsi débarrassée de son traumatisme, laisserait alors place au deuil et à la commémoration. Les excuses donnent place à la réconciliation ». Nadja Vuckovic [4]
Hassan Hanafi, Robert Ilbert, Daniel Rivet, Mohamed Kenbib, philosophes ou historiens des deux rives se proposent à travers cette question si ouverte : qu’est-ce que le colonialisme ? de tenter par leurs analyses, leurs études et leurs réflexions de nous frotter les yeux et pour reprendre l’expression de Daniel Rivet « de nous forcer à voir plus clair là où cela fait mal ».  

Murielle Fourlon

 


[1] Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette Littératures, 2002

[2] Pierre Brocheux, Le colonialisme français en Indochine, Le livre noir du colonialisme, sous la direction de Marc Ferro, Paris, Robert Laffont, 2003.

[3]  Gilles Manceron, Marianne et les colonies, une introduction à l’histoire coloniale de la France, Paris, La Découverte, 2003.

[4]  Nadja Vuckovic, Qui demande des réparations et pour quels crimes ? Le livre noir du colonialisme, sous la direction de Marc Ferro, Paris, Robert Laffont, 2003.