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La Guerre d’Espagne : Histoire d’un rendez-vous manqué Version imprimable Suggérer par mail

Taktik, mars 1996

 

Histoire d’un rendez-vous manqué

La sortie du livre d’Emile Temime La Guerre d’Espagne, un événement traumatisme, et la venue de Ken Loach à Marseille dans le cadre de Vue sur les Docs qui revenait sur son dernier film Land and freedom, nous proposent deux points de vue sur un même événement : la guerre civile espagnole.

Deux types de regard : celui d’un historien et celui d’un réalisateur qui auraient pu se rencontrer.

Au-delà de ces deux approches se dessine l’affirmation d’un engagement personnel vis-à-vis d’un événement historique qui ne peut être envisagé en dehors des passions idéologiques.

Une histoire-légende

La Guerre d’Espagne, un événement traumatisme est le dernier ouvrage d’Emile Temime, publié aux éditions Complexe. L’historien est peut-être aujourd’hui plus connu du public pour ses travaux sur l’histoire des migrations, pourtant en 1961 il faisait paraître aux éditions de Minuit : La Révolution et la guerre d’Espagne, ouvrage écrit en collaboration avec Pierre Broué qui préfigurait une historiographie abondante sur le sujet. Aujourd’hui, Emile Temime se penche à nouveau sur ce moment fort de l’histoire contemporaine, expliquant qu’il n’est pas question pour lui de réécrire le même livre 35 ans plus tard mais de mener une réflexion sur les répercussions et les représentations de cet événement qu’il qualifie de traumatisme.

 

Pourquoi avez-vous eu envie, 35 ans après la publication de votre livre, de revenir sur le sujet ?

Emile Temime : Les éditions Complexe m’ont demandé de faire ce livre. En ce moment, il y a une très forte demande de la part du public sur la guerre d’Espagne, c’est le 60e anniversaire. J’ai commencé par refuser la proposition car je suis peu enclin aux commémorations et autres anniversaires de ce type, de plus je ne voyais pas l’intérêt de réécrire un livre sur la guerre d’Espagne.

Depuis la mort de Franco, il paraît environ 3 ou 4 livres par mois sur le sujet. Désormais, les historiens ont accès aux archives espagnoles de Salamanque et aux archives de Moscou, partiellement ouvertes. Cela constitue une masse d’informations considérable, impossible à traiter pour un historien isolé. Il est également très difficile de faire un état des lieux des travaux universitaires sur la question tant ils sont nombreux et multiformes.

J’ai été frappé des répercussions que cette guerre a encore aujourd’hui et de l’intérêt que lui porte encore beaucoup de gens, notamment les jeunes générations. Une enquête réalisée en 1983 en Espagne montrait que les 18-25 ans plaçaient cet événement comme étant le plus important de toute l’histoire espagnole, bien avant la découverte de l’Amérique.

Cet ouvrage se veut être avant tout une réflexion sur un moment de l’histoire qui a été très important en Espagne évidemment et plus largement dans le monde occidental.

Vous avez précédemment écrit trois ouvrages sur l’Espagne, dont La guerre d’Espagne commence, en 1986. Cet intérêt est-il à relier à votre histoire personnelle ?

E.T. : Oui, bien sûr, je ne crois pas qu’on étudie un sujet sans qu’il y ait un rapport avec sa propre histoire. Je ne crois pas à l’histoire objective, l’historien est avant tout un homme qui s’engage plus ou moins selon l’objet de ses travaux. L’essentiel ensuite c’est qu’il reste honnête, c’est-à-dire qu’il étudie précisément ses sources et qu’il les confronte à la critique.

Je suis né dans le Pays Basque, j’ai gardé de nombreuses images de la guerre, celles des réfugiés et plus particulièrement celles des avions allemands qui effectuaient leurs premiers raids au-dessus d’Irun. Ces souvenirs me sont réapparus plus tard et pour des questions d’engagement personnel j’ai voulu étudier ce moment fort de l’histoire.

Dans quelle mesure la guerre civile constitue-t-elle un traumatisme, comme vous le soulignez dans le titre de votre livre ?

E.T. : Elle l’est dans la mesure où 60 ans plus tard, elle soulève encore des débats passionnés. Après le conflit, toute une génération s’est réfugiée dans le silence pour oublier cette expérience traumatisante. La suivante a produit beaucoup de livres et de films sur cette période. Aujourd’hui, les jeunes qui ne l’ont pas vécue y portent encore un grand intérêt. Je me suis demandé pourquoi et comment cet événement devenait majeur pour une génération qui ne l’a pas vécu et qui n’a fait qu’en entendre parler.

La guerre d’Espagne a été déterminante dans l’histoire de l’Espagne mais aussi au-delà des frontières. C’est un conflit qui dès le début s’est internationalisé d’une part par la présence de journalistes venus du monde entier, d’autre part par l’engagement de volontaires étrangers qui constituaient les Brigades Internationales. Ces hommes avaient fait de la cause espagnole la leur, ils venaient défendre la liberté aux côtés des Républicains. Les troupes nationalistes, quant à elles, bénéficiaient de l’appui de soldats allemands et italiens. La guerre civile espagnole se place dans une période-charnière de l’histoire, à un moment où deux mondes s’affrontent. C’est un combat idéologique dont les conséquences dépasseront les années de la guerre.

Vous consacrez toute une partie de votre livre aux mythes et à la réalité du conflit, pourquoi ?

E.T. : C’est une des premières guerres où l’outil médiatique a été très présent, la presse bien sûr, mais aussi la radio, le cinéma ont joué un rôle actif dans l’affrontement du camp nationaliste et du camp républicain. De part et d’autre, une légende s’est fabriquée. Des événements ont été déformés et sont devenus des mythes. Ce qui m’intéresse avant tout dans cet ouvrage, c’est le passage de la réalité historique à la constitution de mythes. Cette étude devient avec le temps un objet essentiel de la démarche historique.

 

Propos recueillis par Murielle Fourlon