Mort de Dieu ? |
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Rencontres d'Averroès, 2004Dieu est-il mort ?Nietzsche fait annoncer la mort de Dieu à l’insensé. Cette nouvelle loin d’être vécue comme une libération pour l’homme devenait une tragédie. L’homme privé de Dieu se retrouvait face à lui-même. Pour le sociologue Max Weber, l’avènement de la modernité ne se réduit pas à un simple refus de la tradition, mais signifie l’entrée dans une nouvelle ère de turbulences. C’est un monde désenchanté, c’est-à-dire en rupture avec la recherche de moyens magiques pour obtenir le salut. La modernité entraînerait donc une crise grave de l’individualité. Qu’advient-il de l’homme ? Cette question que s’est posé l’Occident a-t-elle un sens vu de l’autre rive de la Méditerranée ? La modernité entraîne-t-elle la sortie de la religion ? Conduit-elle au nihilisme ?
La modernité a engendré la sécularisation, rejetant ainsi en Europe, la religion dans la sphère du privé. Le cléricalisme catholique a résisté aux conquêtes de la modernité intellectuelle, scientifique et laïque puis il a perdu la bataille de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cependant, aujourd’hui il semble s’être adapté au monde moderne. Les réformes protestantes et catholiques en luttant contre la superstition ont introduit la rationalité dans la transmission de la foi. Le judaïsme et le protestantisme ont joué un rôle majeur dans ce processus. Pour exemple, Moses Mendelssohn, « le véritable fondateur du judaïsme moderne » est, selon Dominique Bourel qui lui a consacré un livre (1), un homme qui est au confluent de deux questions : la construction d’un type de judaïsme en conjugaison avec le monde moderne. Ce «Socrate de Berlin», comme on le surnommait, vit dans le Berlin du XIXe siècle, dans cette période dite de l’Aufklarüng. Comme plus tard le préconisera Gershom Scholem [1897-1982], il n’est pas question de ne plus croire mais de croire différemment. Cet intellectuel juif a abandonné la foi orthodoxe avec ses rituels et ses interdits. La vague de la modernité touche l’autre rive de la Méditerranée. Ainsi à la fin du XIXe siècle, émerge le mouvement de la Nahda [Renaissance]. Des intellectuels, en particulier l’Egyptien, Rafi’al-Tahtâwi prennent conscience du nécessaire renouveau de l’Orient, à l’instar de ce qui s’est passé en Europe. Joseph Maïla, dans un ouvrage co-écrit avec Mohammed Arkoun (2), souligne que l’Occident sans être donné comme un modèle parfait, apparaît comme digne d’intérêt. Ces penseurs reconnaissent donc la nécessité de s’attaquer à une réforme de l’islam et admettent les retards accumulés. Cependant, le colonialisme de l’Europe en Orient et les pressions européennes sur l’Empire ottoman, l’« homme malade de l’Europe », vont aboutir à l’échec de cette pensée réformiste. La domination occidentale va entraîner un repli vers des idées conservatrices, traditionalistes, parce que dans cette confusion toutes les idées que véhicule l’Europe sont assimilées au pouvoir de l’occupant. Il s’agit en fin de compte comme l’indique Joseph Maïla de : Plaider pour la redécouverte d’un socle culturel commun et d’une mémoire collective transreligieuse [qui] permet en effet de rétablir la continuité entre l’Europe et l’autre rive de la Méditerranée. Au-delà des oppositions figées dans lesquelles nous nous enfermons trop souvent […].
Murielle Fourlon
(1). Dominique Bourel, Moses Mendelssohn [Paris, Gallimard, 2004] |