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Aujourd hui, un homme est mort Version imprimable Suggérer par mail

Taktik, n°345 du 10 au 17 janvier 1996


Sur le vif


Aujourd’hui, un homme est mort

Pendant quelques jours, la disparition d’un être peut faire la Une de l’actualité. Chacun ira de son couplet, d’ailleurs ils sont fin prêts tous ces gens qui n’avaient pas hésité à enterrer François Mitterrand de son vivant. Lui-même s’était laissé quelque peu prendre au jeu, donnant des interviews à droite, à gauche, révélant les tumultes d’une jeunesse qui faisait tache avec la personnalité que sa carrière politique lui avait permis de se forger. Une manière d’essayer de diriger encore l’histoire. Parler de son vivant pour éviter qu’on ne peaufine sans lui sa biographie. Grand homme d’Etat, on n’en demeure pas moins homme.
Ce matin, alors que l’information vient de tomber, on ne peut que saluer le passage d’un personnage qui, à bien des égards, restera un être d’exception. Le livre d’une histoire vient de se refermer, les souvenirs et les regrets aussi. Avec eux disparaissent les espoirs qui ont porté toute une partie de la population française à croire que quelque chose avait changé. « Un homme, une rose à la main, a ouvert le chemin vers un autre demain, des enfants, lumière au fond des yeux, le suivent deux par deux, le cœur en amoureux », chantait alors Barbara par une jolie journée du mois de mai 1981. L’Internationale se chantait encore, Le Temps des cerises aussi. A l’époque, les capitaux prenaient la route de la Suisse, la fuite devant l’arrivée des « Rouges ». L’homme de taille modeste entrait au même moment dans le sanctuaire du Panthéon pour se recueillir sur la tombe de Jean Jaurès. On se frottait les yeux, on avait du mal à y croire. Qu’allait-il devenir ce pays qui depuis la guerre avait été dirigé par des gouvernements conservateurs ? L’abolition de la peine de mort, une liberté d’expression retrouvée, la naissance des radios libres. Et puis les lendemains qui déchantent… Les faux pas, les coups de freins, les erreurs, les désillusions qui s’enchaînent et qui laisseront sur le bord de la route des milliers de gens aigris, désenchantés. Je fais partie de la génération Mitterrand, celle qui a connu pendant quatorze années un seul homme qui incarnait la France, celle qu’on a voulu faire rougir aux lendemains des dernières Présidentielles. Nous, tas d’ignares qui n’avions pas de mémoire gaulliste, on a voulu nous faire avaler des pommes. Aujourd’hui pour la seconde fois, j’ai ce sentiment étrange d’être sur un bateau qui a perdu son commandant de bord. Aujourd’hui, un homme est mort.
 

Murielle Fourlon