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Algérie et réseaux de solidarité Version imprimable Suggérer par mail

 Taktik, octobre 1994

 

Algérie et réseaux de solidarité

 

Elle vient d'arriver à Marseille. Elle a quitté son pays poussée à bout par les menaces, les insultes, les assassinats. Elle s'est sauvée parce qu'elle refusait de se plier à la folie de ces hommes qui ont décidé que la femme devait se cacher, vivre emmurée et se soumettre à l'homme. Elle, c'est des milliers de femmes, d'hommes, penseurs, artistes, journalistes, enseignants, démocrates. Elle, c'est tous ceux qui disent non à l'obscurantisme.

 

Ils ont fui un pays déchiré qui vit dans la tourmente, un pays où tenir une librairie, continuer de faire paraître un journal est un combat ou une provocation pour ceux qui ont décidé de faire taire la pensée.

L'Algérie, pays gouverné par des hommes dépassés par une situation qu'ils ont laissée se détériorer, qui ne connaissent que la répression. Des hommes usés par le pouvoir et la corruption. Société qui part à la dérive, laissant de côté les jeunes, tous ceux-ci n'appartiennent pas à la petite caste de privilégiés, qui ne s'enrichissent pas sur le dos des autres. Société qui s'est laissée infiltrer par l'intolérance, le populisme, la religion révisée par des obscurantistes. Ceux-là même qui assassinent qui forcent à l'exil des hommes, des femmes qui ne revendiquent que le droit d'exister.

 

Coupable d’être exilé

En France, des hommes et des femmes se sentent solidaires de la tourmente que vivent les Algériens.
Ils s'efforcent par tous les moyens d'accueillir ces exilés. Désertant les partis politiques, souvent déçus par eux, ils se sont regroupés en associations. C'est le cas du CISIA Comité International de Soutien aux Intellectuels Algériens, rassemblés autour de Pierre Bourdieu, à Paris et dont la section Provence s'est constituée à Marseille, en juillet 1994. Mais cette solidarité peut aussi prendre la forme d'une manifestation culturelle. Ainsi, Emmanuelle Ferrari de l'Institut de l'Image à Aix-en-Provence, a donné une carte blanche en juin dernier à la cinémathèque d'Alger. Répondant à une invitation lancée par Boudjemaa Kareche, directeur de la cinémathèque d'Alger, dans Télérama, qui proposait aux gens du cinéma français de venir voir les créations cinématographiques algériennes. Elle lui retourne l’invitation « pourquoi ne viendriez-vous pas avec les films et les réalisateurs de votre choix ? ». Proposition acceptée ; Boudjemaa Kareche n'avait pas posé les pieds depuis 17 ans sur le territoire français. L'association « cinéma du Sud », le festival du Film Documentaire de Marseille se sont joins à l'initiative. Les films ont circulé dans des salles de la région en ailleurs, l'institut Louis Lumière de Lyon les a accueillis pour la Semaine de cinéma arabe, Douarnenez aussi, lors d'un Festival de Cinéma Berbère. Et la ville de Tours envisage de reprendre le même style de manifestation. Les Cinémathèques française et suisse ont été sensibilisées et envisagent de proposer des aides aux réalisateurs algériens. Cette manifestation culturelle a focalisé des associations comme le CISIA sur des cas précis dans la région, des gens se sont retrouvés devant des problèmes concrets. Elle a amené à la création très récente de la KAHENA, association de soutien aux créateurs audiovisuels du bassin méditerranéen en danger, qui a pour but d'apporter un soutien professionnel à des créateurs menacés dans leur pays.

Depuis quelques mois des réseaux de soutien aux réfugiés algériens se sont mis en place. Ils ont à faire face à des problèmes d'hébergement de papiers. Problèmes  difficiles à débrouiller quand le ministère de l'intérieur a décidé de ne délivrer des visas qu'au compte-goutte. Trait d'Union fait partie de ces associations qui essayent de régler ces cas délicats. Depuis 1989, Trait d'Union travaille en direction de l'Algérie, elle met en place des échanges culturels entre les deux pays. Pour Pâques 1992 des enfants de Belsunce ont pu partir à Timimoune, une oasis au sud d'Alger. Depuis quelques mois, la circulation ne se fait plus que dans le sens Algérie France. Trait d'Union s'occupe désormais surtout de résoudre des problèmes administratifs et de trouver des moyens pour faire sortir les Algériens menacés. L'association essaie de leur trouver des lieux d'hébergement, des personnes pouvant les prendre en charge.

Elle est aussi solidaire d'une association, algérienne, le Groupe Aïcha où se sont regroupées des enseignantes, des universitaires démocrates. Ces femmes ont fait plusieurs séjours en France, elles sont allées raconter ce qu'elles vivaient au quotidien de Marseille à Mulhouse. Ces femmes écrivent et traduisent des textes littéraires, elles ont travaillé sur des projets d'écriture avec des femmes marocaines, tunisiennes. Aujourd'hui, elles sont aussi menacées. Lors de leurs visites sur le territoire français, elles ont rencontré des mères qui racontaient leurs craintes quant à la montée des intégristes dans les banlieues. Trait d'Union propose une réelle action dans ces quartiers laissés à l'abandon par les pouvoirs publics. Une réelle action qui utilise la compétence des gens, ceux qui arrivent en France par exemple.

Il faut également citer la Cimade, un réseau de solidarité et d'entraide œcuménique, qui possède une antenne à Marseille et qui accueille, aide et défend les étrangers menacés, demandeurs d'asile ou migrants fuyant la misère. En outre, la Cimade fournit des aides administratives et juridiques. C'est également un espace d'accueil et de conseil. Malgré la mauvaise volonté du gouvernement français, il existe une réelle solidarité qui se développe en France. Il est tout à fait regrettable que cela soit toujours l'initiative individuelle face à un Etat qui chaque jour se désengage un peu plus.

 

Murielle Fourlon