Embarquement immédiat |
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Taktik, mai 1995
Embarquement immédiat
Il y a des gens pour qui le port de Marseille symbolise tout autre chose qu’un lieu de rencontres, d’échanges ou de richesse potentielle. Ces gens sont des étrangers, qui n’ont pas ou qui n’ont plus droit de cité sur le territoire français.Lorsqu’ils quittent Marseille, la dernière image qu’ils gardent du pays est celle d’un hangar délabré situé en plein cœur du Port autonome. A quelques mètres des terminaux fruitiers, le centre de rétention d’Arenc.Les centres de rétention sont des « lieux » où sont retenus administrativement les étrangers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou d’interdiction du territoire. Il existe 12 centres essaimés un peu partout en France : Lille, Bordeaux, Lyon, Nice, Marseille, Nantes, Toulouse, Perpignan, Paris, le Mesnil-Amelot, Sète et Strasbourg. Ces centres dépendent du ministère de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires Sociales. La CIMADE est la seule association à avoir des permanents dans ces centres. Ils sont là pour conseiller, écouter les étrangers qui le souhaitent et les aider à entamer des procédures administratives. Depuis 1984, la CIMADE a signé une convention avec le ministère des Affaires Sociales. Son rôle est de veiller « au respect de la dignité des personnes retenues » et de leurs droits. Ses membres interviennent pour prévenir les familles des « retenus », les aider à récupérer leurs effets personnels, bagages et documents. Le service de la CIMADE qui travaille dans ces centres est celui de la Défense des Etrangers Reconduits (DER). Il assure une permanence d’accueil, de soutien juridique et social.
Attention contrôle ! Un étranger qui se voit refuser le renouvellement de sa carte de séjour, ou sa demande par le service des Etrangers de la préfecture se voit remettre une « invitation à quitter le territoire français » IQF, celle-ci lui accorde un délai d’un mois pour organiser son départ. Si l’étranger laisse passer le délai de l’IQF, il est alors en situation irrégulière. C’est une situation qui autorise la police ou la gendarmerie à l’arrêter et à le placer en garde-à-vue. La préfecture peut prendre à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière et il pourra être amené dans un centre de rétention.
En rétention surveillée La durée de rétention minimum légale est de 24 heures, délai maximum donné au retenu pour demander un recours et durant lequel il ne pourra être reconduit. Le Président du Tribunal Administratif doit statuer dans les 48 heures. Si le recours est rejeté par le Tribunal, le retenu peut être embarqué immédiatement. Généralement, la durée de rétention n’excède pas 7 jours. Pendant cette période, la personne ne peut plus sortir du centre et attend le départ. Le Président du Tribunal peut prolonger la rétention de 72 heures supplémentaires à la demande de la préfecture. Ce qui fait passer la durée de rétention à 10 jours. Cette mesure ne peut être prise qu’en cas de menace très grave pour l’ordre public, ou si l’administration apporte la preuve que ce nouveau délai permettra l’obtention des documents nécessaires à l’exécution de l’éloignement. Car pour être autorisé à entrer dans le pays de reconduite, à défaut de document de voyage, l’étranger doit avoir un laissez-passer. Le centre de rétention d’Arenc a la particularité d’être aussi une zone pour les non admis, les étrangers qui arrivant en France ne présentent pas les garanties et les documents nécessaires. Les non admis sont placés à Arenc dans des dortoirs à part. La durée de rétention peut aller jusqu’à 20 jours. Ils seront libérés s’ils n’ont pu être reconduits avant. Entre-temps, ils seront présentés devant un juge du Tribunal de Grande Instance. S’ils sortent le 20ème jour, ils ne seront pas régularisés pour autant mais devront quitter le territoire par leurs propres moyens. Les étrangers qui font l’objet de la double peine sont aussi envoyés à Arenc, ce sont des personnes en situation irrégulière qui ont commis un délit. Ils purgent une première peine en prison puis font l’objet d’une expulsion pouvant aller d’un an à l’interdiction définitive du territoire.
Visite interdite Le centre de rétention d’Arenc est uniquement un centre administratif. Il se situe à la porte 2 du Port Autonome, c’est un vieil hangar délabré qui doit être détruit. Il se compose de 10 dortoirs dont trois sont prévus pour accueillir 8 personnes chacun. Deux autres dortoirs ont été transformés en salle commune et en réfectoire. Toutes ces salles ont la particularité de communiquer entre elles. Elles n’ont pas de vue sur l’extérieur et ne sont éclairées que par la lumière artificielle. Il n’y a pas de lieu de promenade. D’autres dortoirs ont une vue sur l’extérieur, ils peuvent contenir jusqu’à douze personnes. Ils sont généralement réservés aux familles. Un d’entre eux a été aménagé pour les femmes. 15 à 30 personnes passent par Arenc chaque jour, en ce moment, la moyenne est de 25 personnes. En septembre, le centre a retenu jusqu’à 76 personnes. Après les protestations d’associations humanitaires, la préfecture a fixé un seuil limite de 30 personnes à ne pas dépasser. A son arrivée au centre, le détenu reçoit un drap, une couverture, une serviette et un savon. Les conditions sanitaires sont relativement normales, si ce n’est la présence de cafards due à l’ancienneté et à la vétusté du bâtiment et ce malgré les traitements effectués régulièrement. La CIMADE est la seule association à être présenté à Arenc, personne ne peut y pénétrer, et les membres du service DER sont confinés dans leur bureau, ils ne peuvent en aucun cas visiter les chambres sans autorisation.
Droits de l’Homme ? Comme ailleurs, il existe à Arenc des problèmes de respect des Droits de l’Homme. Les toxicomanes sont retenus dans les mêmes conditions que les autres, ils ne bénéficient pas de psychologues ou autres spécialistes et ne peuvent voir qu’un médecin généraliste. Il y a deux mois, un toxicomane en manque s’est tailladé le corps, les autres retenus sont intervenus pour l’empêcher de se tuer, les gardiens ont envoyé les maîtres-chiens en guise de réponse. Mise au courant, la CIMADE a porté plainte auprès du procureur en alertant la préfecture… D’autres incidents ont été signalés aux autorités. Pour toute réponse : une seule a été reçue, la responsabilité des policiers ayant été écartée. La population d’étrangers qui passe par Arenc est constituée à plus de 50% d’Algériens. Les autres nationalités interpellées le sont lors de contrôles d’identité, de rafles ou encore à leur sortie de prison. Les départs se font par bateau ou par avion de Marignane. Ceux qui sont susceptibles de poser des difficultés sont enfermés durant toute la traversée dans des cabines transformées en cellules. A Arenc, il est impossible de se soustraire à l’embarquement. Il arrive parfois que des étrangers s’automutilent ou fassent des tentatives de suicide pour obtenir un sursis. Une escorte vient chercher les détenus deux heures avant le départ, ils sont remis au commandant de bord. Depuis l’arrêt des communications entre la France et l’Algérie, les bateaux qui assurent le transport sont uniquement sous pavillon algérien. Les Marocains, eux, partent généralement de Sète.
Les lois Pasqua La CIMADE continue son travail de terrain, même si aujourd’hui ses interventions sont de plus en plus difficiles, les requêtes humanitaires n’aboutissant plus. En 1994, quelque 1500 personnes est passée par Arenc, le chiffre a augmenté de 400 par rapport à l’année précédente. Avant les lois dites « lois Pasqua », certaines catégories de la population étaient protégées. Les personnes nées en France ou ayant des enfants français ou encore des personnes mariées avec des Français, celles-ci ne vivaient pas avec la peur de la reconduction à la frontière. Aujourd’hui, l’article 26b de l’ordonnance de 1945 qui réglemente l’entrée et le séjour des étrangers favorise les amalgames. De plus en plus de familles sont déchirées, et on assiste sous prétexte de lutte contre l’immigration clandestine à de nombreuses injustices. Selon Robert Broussard du ministère de l’Intérieur, le nombre total de reconduites à la frontière en 1994 est de 10 020, soit une augmentation de 50% par rapport à 1993. Si ce chiffre est exact, cela signifie qu’une part importante des personnes reconduites à la frontière ne passe pas par les centres de rétention. Environ 700 étrangers passeraient leur temps de rétention dans les commissariats, c’est-à-dire dans des zones de non-droit avant d’être expulsé. On imagine aisément les abus et les violations des Droits de l’Homme qui se perpétuent dans ces lieux où personne ne peut entrer. Le dernier exemple en date est la fermeture du Dépôt de Paris demandée par plusieurs associations et qui a été ordonnée par un juge.
Murielle Fourlon |